Par Maude Dumas collaboration spéciale

Dans la conjoncture actuelle, le défi est de taille non seulement pour les étudiants, mais aussi pour les professeurs et le personnel spécialisé de nos universités. La Fédération des professionnèles* (FP-CSN) se penche sur la question.

Il suffit de franchir les portes d’un campus universitaire pour ressentir en direct l’impact de la pandémie : il n’y a pas de fébrilité palpable, pas de rassemblements dans les aires communes, pas de cafés bondés. Et les classes ? Elles sont presque toutes vides. Même si la rentrée est bien amorcée, c’est le calme plat. Par contre, du côté des professeurs et des professionnels, c’est une autre histoire : après avoir trimé dur pour sauver les trimestres de l’hiver et de l’été, puis tout mis en œuvre pour organiser celui de l’automne, ils font face à des enjeux de taille.

« Au début de septembre, certains professeurs étaient déjà au bord de l’épuisement, s’inquiète Michel Lacroix, président du Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ). Certains n’ont pas pris de vacances cet été pour préparer la rentrée. En raison des changements provoqués par la COVID-19, c’est comme une première année d’enseignement pour plusieurs. »

Enseignement virtuel : des conséquences bien réelles

Le copier-coller ne suffit pas pour transformer un cours normalement donné en classe en séances virtuelles de qualité. Les professeurs doivent apprendre à maîtriser de nouveaux outils informatiques, monter des présentations visuelles stimulantes, adapter des narrations et des enregistrements pour en améliorer la qualité, tout ça pour capter l’intérêt des étudiants.

Malgré tous les efforts déployés par les professeurs, la vice-présidente du secteur universitaire de la FP-CSN, Louise Briand, craint des abandons de cours, voire de programmes, tout particulièrement chez les étudiants en génie ou en droit, qui redoutent de ne pas réussir les examens de leur corporation professionnelle à la fin de leur parcours. Le problème : on n’offre pas de véritable formation à distance, qui permettrait aux étudiants comme aux professeurs de travailler à leur rythme, en fonction de leur horaire et de l’endroit qui leur convient. « Nous offrons plutôt un enseignement ‘’non-présentiel’’, précise-t-elle. Nous transformons nos cours pour les rendre accessibles sur une plateforme électronique afin de respecter les consignes de la santé publique. On bricole pour répondre à l’urgence. C’est une situation de crise qui ne doit pas devenir permanente. »

La syndicaliste, qui a participé à de nombreuses rencontres avec le ministère de l’Éducation et le ministère de l’Enseignement supérieur depuis le début de la pandémie, maintient que le rôle de l’enseignement actuel est mal compris. « On nous parle beaucoup de l’utilisation de la technopédagogie, alors que le ‘’techno-apprentissage’’, lui, n’est pas garanti. »

Encadrement des étudiants : un défi à relever

Les vidéoconférences en milieu de travail – surtout celles qui s’éternisent ! – sont moins productives que les rencontres en vis-à-vis, et il en va de même en milieu universitaire. Ce n’est pas évident de s’adresser à une classe représentée à l’écran par des dizaines de fenêtres miniatures. Difficile d’établir une complicité, de décoder le langage non verbal ou de mesurer le niveau de compréhension pour ajuster le discours en conséquence. « La prise de parole et la participation sont plus ardues dans un cours offert sur Zoom ou Teams, ce qui désavantage certains étudiants plus réservés », explique Stéphanie Demers, présidente sortante du Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec en Outaouais (SPUQO).

Autre constat : le volume de communications électroniques que reçoivent les professeurs est de quatre à cinq fois plus important en temps de pandémie. Les réponses aux questions, qui sont posées individuellement, ne profitent qu’à un étudiant à la fois, et le temps alloué à la gestion des courriels augmente en conséquence. Cela dit, les professeurs sont bien conscients des problèmes qu’éprouvent leurs étudiants – comme ceux qui, ayant perdu leur emploi, ne peuvent plus s’offrir de connexion internet ni avoir accès à de l’équipement électronique – et ils mettent tout en œuvre pour leur venir en aide.

Les défis liés à l’encadrement des étudiants ne concernent pas seulement les professeurs : les spécialistes des services aux étudiants en psychologie, en santé et en orientation ont également dû revoir leurs façons de faire. « La quasi-totalité de ces professionnels effectuent des consultations à distance, ce qui n’est pas évident en raison de la nature de leur travail ; plusieurs aimeraient d’ailleurs réintégrer leur bureau », précise Shoshana Kalfon, présidente du Syndicat des employés et employés professionnels de l’Université Concordia (SEPUC). De plus, comme elle le souligne, il ne faut pas oublier que l’horaire des spécialistes en TI et en technopédagogie a aussi été chamboulé, car ils ont dû mettre les bouchées doubles pour assurer le bon déroulement du télétravail et des cours virtuels.

Professeurs et professionnels : la tâche s’alourdit

Une entente augmentant le nombre d’étudiants du premier cycle à 61 par classe en « mode non-présentiel » a été conclue cet automne entre l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et ses professeurs. « C’est 16 de plus qu’au dernier trimestre, explique Stéphanie Demers, mais c’est préférable aux 700 étudiants par groupe qu’une autre université aurait tenté d’imposer. Il faut surveiller de près les abandons de cours et le décrochage. Les conditions d’apprentissage des étudiants doivent être au cœur de nos préoccupations, et cela passe par la taille des groupes tout comme par le soutien aux professeurs. »

Comme le fait remarquer Michel Lacroix, on ne peut passer sous silence les répercussions du télétravail sur la vie personnelle des professeurs et des professionnels. « La pandémie va creuser les inégalités déjà existantes, soutient-il. Des études démontrent que les parents, les femmes en particulier, sont durement affectés, et c’est certainement aussi le cas pour les proches aidants. »

La recherche est fragilisée

La pandémie touche également les activités de recherche des professeurs : des protocoles tombent à l’eau, des colloques sont annulés, les publications diminuent, les délais des subventions doivent être renégociés avec les organismes subventionnaires. La production en recherche est cruciale pour obtenir de nouvelles subventions, et c’est l’un des volets essentiels de la mission universitaire qui est mise à mal. « Le trou de 2020 en recherche va suivre les professeurs jusqu’en 2026 », commente Michel Lacroix.

Des pistes de solution

Comment aborder la résolution de ces problèmes ? La solution passe avant tout par une révision des programmes de financement offerts par le gouvernement du Québec ainsi que par l’ajout de ressources pour pallier entre autres le manque de chargés de cours. À l’heure actuelle, plus de 90 % du financement universitaire est basé sur le nombre d’EETP (étudiants équivalent temps plein), et son évaluation se fait sur une période moyenne de trois ans. Or, le facteur imprévisible de la pandémie vient changer la donne : impossible de deviner si des étudiants passeront d’une université à l’autre parce que l’enseignement virtuel leur offre une mobilité sans précédent, ni d’évaluer les conséquences du retrait des étudiants internationaux.

En ce qui concerne le chantier eCampus du gouvernement du Québec, qui projette de regrouper l’offre de formation à distance des établissements d’enseignement supérieur, Stéphanie Demers est catégorique : « Le modèle d’affaires du eCampus n’a rien à voir avec la mission universitaire. Il est même incompatible, car il va mettre les universités en concurrence. Ce serait une très mauvaise idée d’utiliser la crise comme tremplin pour pervertir l’enseignement supérieur. » Enfin, il reste à explorer les constats et pistes de solution présentés dans le rapport du groupe de réflexion sur l’Université du futur, qui vient tout juste d’être publié. Initié en 2019 par le scientifique en chef du Québec et le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, il était attendu avec beaucoup d’intérêt par la communauté universitaire avant même le début de la crise. Il sera d’autant plus pertinent en temps de pandémie.

* La FP-CSN a adopté le néologisme professionnèles, qui privilégie un modèle de rédaction non sexiste.

FP-CSN : rassembler pour mieux représenter

La Fédération des professionnèles (FP-CSN) représente trois syndicats dans le milieu universitaire : le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ), le Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec en Outaouais (SPUQO) et le Syndicat des employés et employés professionnels de l’Université Concordia (SEPUC).

La Fédération des professionnèles (FP-CSN) représente 9 000 professionnèles, techniciennes et techniciens œuvrant dans cinq grands secteurs : santé et services sociaux, éducation, organismes gouvernementaux, secteur privé, économie sociale et action communautaire.

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Published On: septembre 28th, 2021 / Categories: Enseignement /