Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Chaque féminicide m’arrache le cœur. Ça me fait revivre le meurtre de ma mère», confie Dania Nehme.

Améli Pineda
15 mai 2021

La récente vague de féminicides a laissé derrière elle 25 orphelins. Qu’adviendra-t-il de ces enfants exposés à la violence conjugale et parfois même témoins de l’irréparable ? Le Devoir a recueilli les témoignages de quatre jeunes adultes qui ont grandi dans ce climat de peur et de tension et qui en constatent aujourd’hui les ravages sur leur vie, mais qui témoignent aussi de leurs espoirs dans la lutte contre la violence conjugale.

Dania | Retrouver la lumière

« Chaque féminicide m’arrache le cœur. Ça me fait revivre le meurtre de ma mère », confie Dania Nehme. Neuf ans après l’assassinat de sa mère par son père, la femme de 25 ans rayonne pourtant lorsqu’on la rencontre dans un parc du centre-ville de Montréal. « Le choc post-traumatique est encore là et il sera toujours là, mais je vais beaucoup mieux, je pense même que je suis au meilleur de ma forme », mentionne-t-elle.

Dania avait 16 ans lorsque son père a poignardé à mort sa mère dans leur résidence familiale, dans l’arrondissement de LaSalle. C’est elle qui a composé le 911 pour signaler qu’il venait de la tuer dans la salle de bain. « Ce jour-là, j’ai perdu tous mes repères », témoigne-t-elle. « Avait-il raison ? Étais-je une mauvaise personne ? Est-ce que la vie valait la peine ? Ma mère avait-elle raison de dire que je suis belle, intelligente et guerrière ? Qu’est-ce que je vais devenir ? Qu’est-ce que je veux devenir ? Comment vais-je poursuivre ma vie ? Est-ce que je vais finir dans la rue ? » dit Dania.

Habitée par ces nombreux questionnements pendant plusieurs années, Dania s’est de nombreuses fois réfugiée dans le silence par crainte de devenir un fardeau pour son entourage. « Mes crises d’anxiété, mes crises de panique, ma dépression, mon insomnie, ça peut faire en sorte que je ne suis pas toujours très plaisante. Ça peut être lourd d’être avec moi », mentionne-t-elle.

La lumière au bout du tunnel n’a pas été évidente à trouver, et c’est justement ce qui la motive à témoigner. « J’espère inspirer ceux qui vivent quelque chose d’horrible présentement. Je veux leur dire que, même si tout est sombre, qu’on se sent comme si on était six pieds sous terre, il y a une raison d’être sur terre », explique-t-elle.

Son passé, elle ne peut l’effacer, mais elle espère s’en servir pour sensibiliser les adultes à l’isolement dans lequel les enfants sont plongés lorsqu’ils grandissent dans la violence. « En tant qu’enfant, il n’y a pas beaucoup de lieux sécuritaires quand ça va mal à la maison, donc je pense que les enseignants devraient porter plus d’attention à leurs élèves quand ils savent que quelque chose ne va pas dans leur vie familiale », estime Dania.

L’école a toujours été un lieu sécuritaire pour elle. C’était et c’est d’ailleurs encore son refuge, confie celle qui termine actuellement une maîtrise. « J’aurais grandement apprécié que mes enseignants, surtout au secondaire, soient plus concernés par mes pleurs et mes crises d’anxiété », affirme-t-elle. C’est également à l’école, croit Dania, qu’il faut inculquer aux enfants l’importance des relations égalitaires. « Il faut traiter les causes et non pas seulement soulager les conséquences de la violence conjugale »

Les violences conjugales ont des racines profondes, rappelle la femme, notamment dans la jalousie, le manque de confiance en soi, la peur et le désir de contrôle. « Il faut soigner les causes. Il faut lever le tabou. Il faut cesser de penser que de parler de ses problèmes de couple est un aveu de faiblesse ou d’échec », souligne-t-elle.

L’absence de responsabilisation des hommes violents est une ombre à son cheminement, confie-t-elle. Son père, qui a été reconnu coupable du meurtre prémédité de sa mère, en est la preuve, selon elle. « Il sera toujours un danger. Il n’a jamais reconnu ses gestes, alors c’est certain que de savoir que dans une vingtaine d’années, il sera admissible à une libération conditionnelle, ça me fait peur pour ma vie. »

LE DEVOIR

Published On: septembre 29th, 2021 / Categories: Violence intrafamiliale /