Dr Gisele Sampaio SilvaUniversité fédérale de Sao Paulo (Federal University of São Paulo), Brésil

Le domaine de la prise en charge de l’accident vasculaire cérébral (AVC) a évolué considérablement l’année dernière, car la pandémie de COVID-19 a conduit à utiliser de plus en plus les technologies de santé numériques, dont les applications logicielles, la prise en charge virtuelle et les dispositifs portables (1).

Ici, je vais discuter des dernières expériences avec les nouvelles technologies numériques et des leçons pratiques que nous en avons tirées. Il est à noter que les technologies peuvent contribuer non seulement à la prise en charge de l’AVC aigu, dont le dépistage par les services d’urgence, mais également à la prévention de l’AVC (primaire et secondaire), à l’éducation, à la rééducation et au contrôle qualité.

Utilisation d’applications en phase aiguë : avant l’admission

Il est essentiel d’effectuer une évaluation préhospitalière précise afin d’éclairer les décisions concernant la prise en charge, par exemple, si le patient doit ou non être transporté vers un centre en mesure d’effectuer un traitement endovasculaire. Dans notre région du Brésil, nous avons utilisé l’application Field Assessment Stroke Triage for Emergency Destination (FAST-ED), qui aide l’utilisateur à identifier les AVC dus à une occlusion des gros vaisseaux.

Cette application de triage utilise un algorithme reposant sur les facteurs du patient, comme l’âge, le dernier état normal connu, la faiblesse motrice, la divergence du regard et l’aphasie. Elle permet également, associée aux données du système de positionnement mondial (Global Positioning System, GPS) et aux informations de circulation en temps réel, d’accéder aux informations sur les capacités des centres locaux et régionaux de prise en charge de l’AVC, en termes de capacité à prodiguer un traitement endovasculaire. Cela permet aux utilisateurs d’établir l’éligibilité au traitement (par exemple, activateur tissulaire du plasminogène par voie intraveineuse ou endovasculaire) et d’identifier où le patient doit être envoyé pour les soins les plus efficaces.

Principalement, en utilisant l’application FAST-ED, un ambulancier peut calculer l’état du patient et déterminer s’il fait un AVC dû à l’occlusion d’un gros vaisseau. La base de données et les données GPS suggèrent où conduire le patient. Ce centre de prise en charge de l’AVC est informé que le patient arrive afin de préparer ce qui est nécessaire. Ceci est très important de façon évidente afin que le patient arrive à l’hôpital et puisse être transporté directement à l’endroit où l’attend une équipe spécialisée dans l’AVC.

L’application a été validée et, d’après notre expérience, a apporté des bénéfices significatifs en termes d’évaluation rapide et d’accès à un traitement approprié, mais nous continuons à suivre activement ses performances dans notre région, tout comme d’autres le font ailleurs. Notez qu’une étude, tout juste publiée, impliquant 231 patients a montré un niveau élevé de fiabilité inter-évaluateurs lorsque l’application FAST-ED était utilisée dans le cadre préhospitalier. Des études comme celle-ci sont importantes pour nous rassurer sur le fait que l’utilisation de ces nouvelles technologies n’affecte en aucune manière la qualité des soins (2).

Utilisation d’applications en phase aiguë : le cas de la neuro-imagerie hospitalière

Dans notre centre, nous utilisons l’application Join pour smartphones et tablettes. Comme FAST-ED, c’est une autre technologie peu coûteuse et facilement accessible, qui permet de visualiser la neuro-imagerie en phase aiguë. L’un des principaux avantages est qu’elle permet d’accéder rapidement à des avis de spécialistes, où que vous vous trouviez (et a donc potentiellement un intérêt particulier dans les régions éloignées ou manquant de ressources).

Cette application validée, qui ressemble quelque peu à WhatsApp, est complètement protégée pour des raisons de sécurité et de confidentialité, et peut être connectée au scanner TDM de l’hôpital qui utilise l’application. Au moment précis où la TDM est pratiquée, par exemple, si je suis chez moi la nuit, je peux voir sur mon téléphone portable les images en temps réel (3).

Je peux alors communiquer avec le médecin résident et le médecin des urgences : « Oui, c’est un AVC hémorragique » ou « C’est un AVC ischémique, avec une occlusion d’un gros vaisseau ». Je peux indiquer : « Oui, je vois un AIT, vous pouvez continuer, vous pouvez administrer un activateur tissulaire du plasminogène (tPA) au patient, vous pouvez administrer une thrombolyse », et déterminer ce qui doit être fait pendant la phase aiguë. L’application s’est avérée vraiment utile pour contribuer à une prise en charge appropriée rapide.

Mais ce n’est pas tout, elle abolit efficacement les distances, transformant le pays en une région plus petite où il y a toujours un spécialiste disponible. Il peut parfois y avoir un patient victime d’un AVC aigu dans une région éloignée du pays dépourvue de neurologue spécialisé dans l’AVC alors qu’il est 2 h 00. Pourtant, un spécialiste qui visualise les images à distance peut émettre un avis et aider le médecin local à prodiguer un traitement approprié.

Le réseau brésilien de l’AVC (Brazilian Stroke Network) est en cours de développement pour relier les spécialistes et garantir l’accès à l’avis de spécialistes, où que vous vous trouviez. Il reste encore beaucoup à faire et à évaluer, mais cet effort pourrait aboutir à créer un modèle approprié pour d’autres régions du monde.

L’application Join peut également être utilisée pour le contrôle qualité, la saisie et la fourniture de données sur des indicateurs comme le temps nécessaire pour se rendre aux urgences, avoir accès à un scanner ou à une thrombolyse. L’application peut générer un compte-rendu pour chaque patient ; il est donc bien plus facile de recueillir les bonnes données sur les indicateurs actuels et peut-être d’identifier de nouveaux indicateurs ultérieurement.
Technologies numériques : avantages lors des essais cliniques

Nous avons également trouvé l’application Join utile pour les essais cliniques, par exemple, pour évaluer les patients ou trier les patients en phase aiguë pour les essais thérapeutiques. Avant, nous devions aller à l’hôpital, consulter les images, recevoir le patient en consultation. Vous pouvez désormais envoyer des images de neuro-imagerie et d’autres éléments visuels avec l’examen clinique du patient. C’est plus efficace et une source de gain de temps.

Par exemple, nous avons utilisé Join pour l’essai RESILIENT sur l’AVC, un essai national évaluant la thrombectomie mécanique au Brésil, publié dernièrement dans le New England Journal of Medicine (4). L’application a été utilisée à la fois pour la sélection des patients et pour les discussions entre les investigateurs principaux.

Nous utilisons également des technologies de santé numériques dans l’essai OPTIMAL sur l’AVC que nous menons actuellement. Il s’agit d’un essai de contrôle de la pression artérielle pour les patients victimes d’un AVC. En raison de la pandémie, les patients ne pouvaient pas se rendre à l’hôpital pour faire relever leur pression artérielle. Ainsi, certains de nos patients utilisent des appareils à domicile pour prendre des mesures et les saisir dans une application. Nous pouvons étudier les données et évaluer le patient lors d’une téléconsultation médicale par vidéo. Là encore, il s’agit d’une solution pratique et efficace.
Détection d’un risque accru d’AVC

Le rôle des dispositifs portables dans la prise en charge de l’AVC doit encore être établi, mais est tout à fait possible. L’étude Apple Heart menée dernièrement a examiné si les données recueillies par une Apple Watch pouvaient être utilisées pour détecter des arythmies auriculaires pouvant indiquer une fibrillation auriculaire (FA) et un risque accru d’AVC. Les personnes dont les données évoquaient une arythmie ont reçu un patch de surveillance par ECG portable.

L’étude a examiné les données de plus de 400 000 participants. Il y avait un faible taux de détection de FA (confirmée par ECG ; 0,04 %) et de faibles valeurs prédictives positives et négatives, mais il y a une promesse réelle ici dans l’utilisation de technologies largement disponibles comme celle-ci pour aider à améliorer la prévention de l’AVC (5).

Développements futurs : intelligence artificielle ?

Que réservent les années à venir en termes de technologies numériques dans la prise en charge de l’AVC ? Pour être honnête, je pense que les possibilités sont illimitées. L’adoption de nouvelles technologies, dont les applications et les appareils d’assistance dans la pratique, évolue rapidement dans l’environnement actuel, en partie par nécessité en raison de la pandémie.

Je pense que les étapes majeures suivantes concerneront l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pour aider au diagnostic et à la prise en charge des patients victimes d’un AVC aigu. Nous utilisons déjà une forme d’IA pour évaluer la pénombre ischémique en phase aiguë afin de calculer la quantité de tissus du cerveau récupérables à ce moment-là, mais les informations obtenues sont brutes et ce sont les investigateurs qui déterminent la marche à suivre. Dans un avenir relativement proche, nous pourrons proposer une prise de décision plus personnalisée, car les chercheurs développent des moyens d’identifier le meilleur traitement pour chaque patient. Plusieurs groupes dans le monde s’y intéressent, et il sera très intéressant de découvrir les résultats.

Les technologies numériques joueront également un rôle encore plus important dans la prévention et l’éducation de l’AVC. L’AVC n’est pas seulement l’une des causes de handicap les plus importantes dans le monde, c’est aussi une cause majeure de décès. Au Brésil, c’est la deuxième cause de décès la plus fréquente. Des applications comme Stroke Riskometer peuvent mesurer le risque, émettre des recommandations à l’intention de l’utilisateur concernant la conduite à tenir et inciter l’utilisateur à adopter un mode de vie plus sain, si nécessaire (et surveiller qu’il le fait).

Nous en sommes aux premiers stades d’un essai de prévention d’envergure, en collaboration avec le ministère de la Santé, examinant l’utilisation d’une application de gestion du risque, ainsi que l’utilisation d’antihypertenseurs et de statines, et leurs rôles respectifs dans la prévention. Il s’agira d’un essai en clusters, avec différents centres évaluant différentes interventions.

Dans l’ensemble, les technologies de santé numérique ont beaucoup à offrir en matière de prise en charge de l’AVC, et l’année dernière nous a permis d’affiner leur utilisation. Des études en cours et de nouvelles innovations dans les années à venir nous aideront, nous l’espérons, à mieux identifier les moyens efficaces de prendre en charge l’AVC et d’empêcher qu’il se produise en premier lieu, avec des bénéfices potentiellement importants pour nous tous en matière de santé publique.

Messages clés à retenir

♦ L’utilisation des technologies numériques dans l’AVC s’est accélérée l’année dernière, et aide les professionnels de santé à coordonner et à optimiser les soins prodigués.

♦ Des outils importants sont désormais disponibles pour aider les auxiliaires paramédicaux à trier les patients suspectés d’AVC (et à identifier et alerter les centres spécialisés appropriés), ainsi qu’à permettre aux spécialistes d’émettre des recommandations à distance en se fondant sur la neuro-imagerie et les données cliniques.

♦ Des dispositifs portables comme les montres pourraient jouer un rôle dans la prévention de l’AVC, tout comme des applications d’évaluation des risques pour le grand public. Des recherches sont en cours pour étudier leurs utilisations potentielles.

♦ Les outils utilisant l’intelligence artificielle devraient représenter une partie plus importante des soins de routine de l’AVC dans les années à venir.

Neurodiem

Notes

1. Silva GS, Schwamm LH. Advances in stroke: digital health. Stroke 2021:52;351-5.

2. Dowbiggin PL, Infinger AI, Purick G, et al. Inter-rater reliability of the FAST-ED in the out-of-hospital setting. Prehosp Emerg Care 2021;doi:10.1080/10903127.2020.1852350.

3. Martins SO, Weiss G, Almeida AG, et al. Validation of a smartphone application in the evaluation and treatment of acute stroke in a comprehensive stroke center. Stroke 2020;51:240-6.

4. Martins SO, Mont’Alverne F, Rebello LC, et al. Thrombectomy for stroke in the public health care system of Brazil. N Engl J Med 2020;382:2316-26.

5. Perez MV, Mahaffey KW, Hedlin H, et al. Large-scale assessment of a smartwatch to identify atrial fibrillation. N Engl J Med 2019;381:1909-17.

Published On: septembre 29th, 2021 / Categories: Réadaptation /